L'énergie craint-elle la pluie ?
L'accentuation des contrastes hydrologiques et des effets du réchauffement climatique ne sont pas sans influence sur le monde de l'entreprise : suite à la canicule du mois d'août dernier, une étude de Climpact[1] a montré par exemple une augmentation de 4% des ventes de boissons rafraîchissantes. Plus généralement, les études menées par le ministère du commerce américain ont montré que 80% des entreprises sont météo-sensibles directement ou indirectement. Naturellement, cette météo-sensibilité des entreprises diffère suivant leur zone géographique d'implantation et les habitudes de consommation locales.
Typiquement en ce qui concerne l'énergie, la France est particulièrement thermosensible concernant sa consommation d'électricité, compte tenu de la part significative du chauffage électrique. Il est donc légitime de se demander quelle est l'ampleur de l'impact des aléas météorologiques sur le secteur de l'énergie en France. Ce secteur est-il plus impacté que les autres ? Faut-il mettre en oeuvre davantage d'efforts pour anticiper, piloter ou communiquer sur les effets météorologiques ?
Que regarde-t-on lorsque l'on étudie les impacts météo ?
Les variables ordinaires étudiées par les entreprises sont la température, les précipitations (pluie et neige), l'ensoleillement et la force du vent. Il est d'usage de ne pas considérer les événements catastrophiques (foudre avec dégradation, cyclone, etc.) compte tenu de leur faible fréquence d'apparition et du caractère non-quantifiable de leurs impacts d'une année sur l'autre.
L'accroissement de la température moyenne du globe (de 0,5 à 3°C suivant les scénarios), confirmé par les modèles du CNRM[2] et de l'IPSL[3], n'est pas la seule tendance climatique étudiée. Les dernières simulations du GIEC[4] montrent également que le climat tend vers une augmentation globale des précipitations mais également une accentuation des contrastes hydrologiques spatio-temporels, ce qui se traduit notamment par une intensification des sécheresses, des inondations plus fréquentes (5 à 8% suivant les modèles mentionnés précédemment) ainsi que des écarts de température de plus en plus importants par rapport à la moyenne de référence.
En typologie de risques, on distingue les risques physiques (destruction matériel, dévalorisation des produits, etc.) et les risques économiques (volatilité des matières premières, chute des ventes, CA, rentabilité, etc.). Ces risques ont des impacts directs sur la performance d'une entreprise (variation de la production, problème de logistique, modification du comportement des consommateurs, etc.) mais aussi des impacts indirects en touchant les différentes entités de la filière (fournisseurs, partenaires, clients, etc.).
Les risques climatiques incluent aléas[5] et anomalies[6] météorologiques. Selon les secteurs et la nature du risque, les impacts peuvent être météo-favorables ou météo-défavorables lorsqu'ils se traduisent respectivement par une augmentation ou une diminution du chiffre d'affaires.
Energie, transport, agroalimentaire, hôtellerie et loisirs, BTP, presque tous les secteurs sont touchés par les fluctuations climatiques. Naturellement, en fonction des secteurs étudiés, les impacts ne sont pas tous de la même ampleur ni dus aux mêmes variables météo.
Par exemple au sein d'un secteur comme l'énergie, tous les maillons de la chaîne de valeur sont impactés mais pas par les mêmes variables météo :
- Le vent impacte la production éolienne ;
- La nébulosité impacte la production photovoltaïque ;
- La température impacte la production nucléaire, mais aussi le stockage, le transport (tolérances opérationnelles d'équilibrage) et la distribution de gaz ;
- La température, l'humidité et l'ensoleillement impactent la fourniture de gaz et d'électricité ;
- Etc.
Au vu de l'ampleur croissante des anomalies météorologiques, les entreprises ne peuvent plus se permettre de laisser le climat interférer dans la performance de leurs activités. Il est de plus en plus nécessaire pour une société d'être en mesure d'identifier la nature de sa météo-sensibilité ainsi que les variables météo qui doivent désormais être intégrées aux mécanismes de construction des prévisions opérationnelles et à la stratégie globale. De manière évidente, comment un acteur majeur proposant des produits de grande consommation fortement météo-sensibles (tels que les soupes, glaces ou bières, etc.) peuvent-ils se permettre de ne pas suivre les effets de la météo sur les activités de l'ensemble de leur chaîne de valeur ? Les entreprises se doivent donc de piloter les effets de leur météo-sensibilité au lieu de les subir.
Quelle est l'ampleur de la thermo-sensibilité du secteur français de l'énergie ?
Dans un secteur que l'on sait fortement météo-sensible comme l'énergie, la question est de savoir si la fourniture d'électricité et de gaz dépend sensiblement des écarts de température par rapport aux normales saisonnières.
En prenant l'exemple de l'année 2010 jugée particulièrement froide (voir graphique des températures et normales 2010) et en considérant, d'après une estimation de RTE sur 2010, que deux tiers des variations de consommation observées sont dues à la météo[7], on constate une augmentation de la consommation annuelle de 13 TWh (soit 2,6% de la consommation totale observée) de plus que pour une année « normale » où les températures seraient quasiment égales aux normales saisonnières. En supposant que le CA d'un fournisseur d'électricité augmenterait approximativement dans la même proportion (consommation d'une période de semi-base), il est possible d'en déduire un effet météo-favorable de 2,6% sur la performance de 2010.
Source : Sia Partners (données publiques issues de RTE et ERDF)
Un certain nombre de spécificités françaises permettent de comprendre la forte météo-sensibilité du secteur énergétique. En termes de fourniture, la forte variation de consommation due aux températures peut être expliquée par la place importante du chauffage électrique dans l'habitat. En été, la variation positive est liée au fait qu'une augmentation de la température entraîne une plus grande utilisation des systèmes de refroidissement et de climatisation.
Les entreprises aiment-elles évoquer la météo pour décrire leur performance ?
Le tableau ci-dessous, extrait d'une étude de Sia Partners, compare la manière dont certaines entreprises du CAC40 mentionnent l'effet météorologique dans leurs rapports financiers annuels. Le tableau ci-dessous évalue la pertinence et précision de la communication météo pour des entreprises cotées qui sont directement ou indirectement météo-sensibles (selon les produits, la zone géographique, etc.) : données qualitatives ou quantitatives, en valeur ou en volume, avec ou sans distinction de la géographie ou des segments de produits, justification d'un effet positif ou négatif sur la performance, etc.
Source : Sia Partners (données publiques issues des rapports annuels des entreprises)
C'est donc sans grande surprise que les acteurs de l'énergie, qui sont fortement météo-sensibles, sont ceux qui communiquent le plus sur les effets météo.
Certaines entreprises comme celles appartenant au secteur de l'hôtellerie ou agro-alimentaire évoquent peu la météo dans leurs rapports financiers annuels, si ce n'est pour justifier un effet défavorable et donc une diminution de leur CA. Ces dernières ont d'ailleurs tendance à occulter la météo lorsque celles-ci leur est favorable, probablement pour doper les chiffres de leur croissance endogène... Or, un effort de communication permettrait un recensement exhaustif et précis des risques susceptibles d'avoir des impacts significatifs sur les performances de la société. Cela permettrait ainsi de présenter une réelle transparence relatifs aux facteurs de risque, et renforcerait la confiance de l'ensemble des parties prenantes : investisseurs, fournisseurs, clients, partenaires, régulateurs... Au-delà d'un souci d'honnêteté et de lucidité, la tendance des Commissaires aux Comptes va quand même vers un accroissement des efforts demandés pour distinguer les performances intrinsèques de l'entreprise et les effets dus à des facteurs externes comme la météo. Typiquement, aux États-Unis, la SEC[8] exige que les entreprises fassent ce distinguo dans leurs rapports financiers et cette tendance d'une meilleure transparence gagne l'Hexagone.
Ainsi, bien que le secteur de l'énergie fasse office de relativement bon élève, la marge de progression reste encore importante. Les autres secteurs, comme les produits de grande consommation et l'agroalimentaire, font peu d'efforts alors que leur activité est également très météo-sensible. Le risque climatique touche plus globalement les filières textile, le bricolage, la construction et le tourisme. Rares sont les sociétés qui mettent en place des moyens de pilotage pour maîtriser l'effet météo ou souscrivent à des assurances spécifiques pour se couvrir contre les risques... La seule communication relative aux effets météo sur la performance des sociétés ne suffira pas à rassurer leurs parties prenantes. Ces dernières attendent également que soient mis en place de véritables systèmes de pilotage permettant de maîtriser les aléas météo. Aussi, le marché des couvertures de risque météo, encore marginal, pourrait prendre de l'ampleur à mesure que les contrastes météorologiques s'amplifieront d'une année sur l'autre ; cette même tendance sera suivie par les autorités de marché qui renforcent leur régulation pour que certaines entreprises ne puissent plus « noyer » de manière discrète les bons résultats dûs à l'effet météo dans une croissance qu'elles affichent comme « organique ».
A. Augey
A. Augey
Publication d'origine : http://www.energie.sia-partners.com/lenergie-craint-elle-la-pluie
Notes :
[1] Société de services française dédiée à la business intelligence climatique (essaimage de l'Institut Pierre-Simon-Laplace des Sciences de l'Environnement)
[4] Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'Évolution du Climat (groupe d'évaluation et de synthèse de travaux relatifs au changement climatique)
[5] Un aléa ordinaire représente les fluctuations d'une variable météorologique à court, moyen ou long terme (respectivement à l'échelle journalière, saisonnière, annuelle).
[6] Une anomalie désigne l'écart d'une variable par rapport à une référence pour une période donnée (souvent une ou plusieurs années). Pour la température, la référence correspond aux températures normales saisonnières.