Les Smart Data, levier-clé pour des villes plus intelligentes et plus vertes
Même si elles ne représentent que 2% de la surface du globe, les villes, fidèles à la célèbre loi de Pareto, concentrent la moitié de la population mondiale et cette concentration atteindra deux tiers d’ici 2030. Sans surprise, les villes pèsent à elles seules pour plus de trois quart de l’énergie produite et pour 80% des émissions de carbone[1] . En parallèle de cette tendance à la concentration démographique, on assiste à la montée en puissance des “Big Data”, ces innombrables données utilisées par de plus en plus d’entreprises pour améliorer leur compétitivité. Convergence naturelle entre les difficultés de villes toujours plus peuplées et les perspectives alléchantes promises par l’exploitation d’un nombre de données toujours plus grand, la smart city cristallise aujourd’hui l’attention d’un nombre croissant d’acteurs - publics et privés - à même de prendre part dans les efforts de lutte pour l’environnement mais également dans de nouvelles formes de valorisation des données extrêmement variées.
Les données, ou la matière première des smart grids
Aujourd’hui, les données sont déjà utilisées sur toute la chaîne de valeur de l’énergie, depuis la prévision de consommation pour les producteurs, jusqu’aux actions marketing personnalisées pour les fournisseurs, en passant par le pilotage du réseau en temps réel pour les transporteurs et les distributeurs. Cependant, l’utilisation des données est encore propre à un maillon de la chaîne et ne sert fondamentalement que les intérêts de l’acteur du maillon considéré. De fait, les données restent encore sousexploitées dans la mesure où il n’est pas encore possible de les croiser avec des informations issues d’autres maillons voire de secteurs d’activité complémentaires.
Pour exploiter pleinement le potentiel des données et avoir ainsi une vision intégrée de la chaîne de l’énergie, il faut réussir à centraliser les informations issues de toutes les sources existantes : compteurs communicants, objets connectés au sein de l’habitat intelligent, données de géolocalisation, bornes multimodales pour la mobilité (ex : véhicule électrique), état des sources de production d’énergie intermittente, quantité d’énergie produite, consommée ou échangée sur les réseaux en temps réel, etc.
Aujourd’hui, les technologies dites “smart grids” sont en cours d’expérimentation dans plusieurs démonstrateurs français tels que le projet « Smart Grid Vendée »[2] dans le département éponyme, ou encore le démonstrateur « Smart Electric Lyon », récemment salué par le président François Hollande lors de la présentation de la COP21 à l’Elysée[3] . Lyon fait effectivement figure de pionnière dans le domaine mais n’est pas la seule à lancer des projets smart grids : l’éco-quartier IssyGrid à Issy-Les-Moulineaux ou l’expérimentation NiceGrid à Nice sont autant de laboratoires qui permettent de mieux évaluer les avantages et freins de ces innovations technologiques. Si l’arrivée des compteurs communicants Linky et GazPar peut être vue comme la première brique de la connectivité, la capacité à généraliser ces écosystèmes à plus grande échelle, et en intégrant des composantes hors énergie, demeure un défi colossal.
Les données à l'échelle des villes : de belles opportunités mais beaucoup d'obstacles !
Si les réseaux énergétiques intelligents constituent l’un des piliers de la smart city, ils ne sont pas les seuls ; la ville englobe effectivement une multitude de problématiques potentiellement connectables (énergie, éclairage, déchets, mobilité, infrastructures, loisirs, culture, etc.) auxquelles se superposent des enjeux socio-économiques et politiques.
Pour parvenir à exploiter ce potentiel, la première question qui se pose est l’identification des sources de données et la manière de les collecter. Une approche consiste à choisir les structures sur lesquelles apposer un capteur intelligent qui viendra émettre ou relayer une information, elle-même reprise par les habitants de la smart city. On entrevoit ici la richesse - et la complexité - d’un réseau de télécommunication dont les parties prenantes sont des humains et/ou des machines.
L’exemple de « Smart Santander », démonstrateur de smart city au nord de l’Espagne, témoigne de la volumétrie requise pour une telle expérimentation : plus de 250 000 données captées par 20 000 objets communicants, soit 1 capteur pour 9 résidents, sans compter les smartphones des habitants. Ces capteurs - cachés sous le bitume, dans les jardins, les toits de bus, les taxis, etc. - permettent de suivre à tout moment la “santé” de la ville : température, humidité, pollution, bruit, nids-depoule, embouteillages, éclairages défectueux, places de parking disponibles, etc.
Les avantages sont devenus tangibles : la qualité de l’air est perçue comme meilleure, les embouteillages ont été réduits de 80%, l’éclairage a réalisé 40% d’économie et les interventions en cas d’incident sont 7 fois plus rapides. La question du retour sur investissement est bien-sûr à considérer avec le plus grand soin, d’autant plus que le potentiel de valorisation du croisement des données reste à ce stade incertain.
Au-delà de la dimension économique, il existe bel et bien un défi
technologique. Pour collecter, traiter, croiser, comparer, analyser
et restituer les données, il faut pouvoir mettre en place une
gigantesque plate-forme de centralisation et d’exploitation. Les
technologies d’open data, actuellement expérimentée dans une
centaine de villes françaises[4], pourraient être la condition sine
qua non d’une fédération des habitants, municipalités, grands
groupes et start-up autour du concept de smart city.
Quels chefs de file pour initier un centre de partage et d'exploitation des données ?
Pour impliquer toutes les parties prenantes de la ville, il faudrait probablement se faire à l’idée qu’une telle initiative n’est possible que si tous les acteurs jouent le jeu du partage des données dans une perspective d’amélioration des villes. Cela signifie que ces derniers acceptent que leurs données anonymisées, alors accessibles sur une plate-forme intelligente et sécurisée, soient utilisées par des clients, mairies, start-up ou concurrents, pour développer des services en lien avec leur marché ou complètement en dehors. Or la protection des données, qui est un enjeu croissant pour les citoyens, pourrait être un frein à l’expansion des smart cities. Selon une étude réalisée par Microsoft Advertising[5], seuls 23% des Français se disent prêts à partager leurs données, contre 61% en Chine et 45% aux Etats-Unis.
De ce fait, plusieurs scénarios sont imaginables. L’un d’entre eux pourrait être de créer des partenariats flexibles entre de grands acteurs français de l’énergie, du transport, des télécommunications, des services logistiques, des médias et de la propreté, etc. mais aussi avec les collectivités territoriales qui joueraient le rôle d’arbitre, facilitateur et régulateur. La participation, voire le leadership, du secteur public est effectivement une composante essentielle à l’implémentation d’un tel dispositif.
Si les acteurs développant une compétence “smart city” existent bel et bien, ils sont encore peu nombreux à proposer une vision transversale des enjeux. On pourra néanmoins citer l’exemple de Toshiba, meneur du consortium japonais intervenant dans la réalisation du « Community Management System » - système de gestion et de pilotage global des données énergétiques - mis en place dans le cadre du projet « Lyon Smart Community »[6]. D’autres technologies se démarquent également comme la plate-forme urbaine « OPENcontrol » de Coefly Ineo (groupe ENGIE), la gamme « Smart+Connected Communities Solutions » de Cisco, ou encore les multiples services proposés par Orange en partenariat avec de nombreux industriels (ex : Streetline pour les parkings intelligents, SNCF et Total pour la mobilité, Thales Alenia Space pour la gestion des risques naturels, etc.).
S’attaquer aux problèmes de l’avenir des villes s’inscrit directement dans l’agenda de la COP21. Mais si les bénéfices - en termes de développement, confort, sécurité et écologie - sont concrets, il convient de souligner les difficultés inhérentes à l’envergure du projet : quantité de capteurs à déposer, mise en oeuvre d’une plate-forme de centralisation ouverte ou non, confidentialité des données, articulation privé et public. Portés par une conjoncture législative que l’on espère favorable, ce seront probablement les précurseurs des technologies de stockage, traitement et diffusion des données qui, en définissant des interfaces de programmation (API) et des protocoles de communication, impulseront le mouvement que rejoindront progressivement les nombreux autres acteurs des smart cities.
A. Augey, C. Guillard
Publication d'origine : http://www.energie.sia-partners.com/sites/default/files/pictures/sia_partners_-_magazine_energie_-_numero_special_cop21.pdf
Tableau 1 : quelles smart data pour rendre la ville plus performante ?
[1] Site de la CRE dédié au smart grids : http://www.smartgrids-cre.fr/index.php?p=smartcities-lyon-smart-community
[2] Site institutionnel de Smart Grid Vendée : http://smartgridvendee.fr
[3] Site institutionnel de Smart Electric Lyon : http://www.smart-electric-lyon.fr/lactualite-du-projet-5
[4] Site d’informations de l’Open Data en France : http://www.opendatafrance.net/lassociation/les-acteurs-2
[5] Etude « Value Me » publiée par Microsoft Avdertising en 2015
[6] Site institutionnel du Grand Lyon : http://www.grandlyon.com/projets/lyon-smart-community-confluence.html