La consommation de charbon explose ! Qui sont les gagnants ?

Au vu des objectifs que l'Allemagne s'est fixée en termes de sortie du nucléaire, les motivations qui poussent aujourd'hui la première puissance européenne à accroître les activités d'extraction du lignite ne sont pas surprenantes. Mais l'Allemagne n'est pas la seule à se retourner vers la célèbre énergie fossile : à horizon 2020, le charbon sera probablement la première source d'énergie mondiale et nombreux sont les énergéticiens et industriels convaincus que le charbon est une des solutions qui permettra de subvenir à la demande grandissante en énergie.

Aussi, Sia Partners s'est intéressé aux acteurs pour lesquels ce retour en force du charbon représente une importante opportunité. S'il semble naturel que les groupes charbonniers sont les premiers concernés par la croissance continue du charbon, de nombreux autres acteurs espèrent bien en tirer profit ! Décryptage.

De puissants groupes internationaux en amont de la chaîne

Afin de bien comprendre la position des acteurs et leur stratégie, il est important de distinguer les grandes typologies d'acteurs issues d'une analyse de segmentation suivant deux axes : le positionnement des acteurs sur la chaîne de valeur physique et financière (cf. figure A1) et la diversification de leur portefeuille de produits (types de charbon, cf. figure A2, d'énergies ou de minerais).

Trois typologies d'acteurs apparaissent en amont de la chaîne de valeur charbon. Les pure players(ex : Peabody Energy, Arch Coal, Shenhua, China Coal) sont les spécialistes du charbon. Ces acteurs essentiellement américains et chinois sont fortement intégrés sur l'ensemble de la chaîne de valeur et dominent le marché. Leur stratégie s'oppose à celle des grands groupes miniers tels que BHP Billiton, Anglo American, Rio Tinto ou GlencoreXstrata, qui sont en effet moins intégrés car très portés sur l'amont de la chaîne. Ces derniers disposent notamment d'un portefeuille de minerais très diversifié et bénéficient de synergies en termes d'exploration/production. On peut également distinguer un petit groupe d'énergéticiens diversifiés, comme TOTAL ou Consol Energy, qui ont la particularité de commercialiser une gamme d'énergies fossiles couvrant le charbon, le pétrole et le gaz naturel.


Ces familles d'acteurs convergent cependant sur un point : elles sont relatives à des acteurs financièrement très puissants et présents sur l'amont de la chaîne ainsi que sur les activités de la chaîne financière : négoce/trading et commercialisation.


Tableau 1 : capitalisation boursière (2012) et chiffres d'affaires des ventes de charbon (2010, 2011, 2012) pour les principaux acteurs présents sur la chaîne financière
Source : consolidation Sia Partners, d'après les rapports annuels 2010, 2011, 2012
*Chiffre d'affaires déduit du volume commercialisé et du prix moyen du charbon thermique sud-africain

Quel que soit le maillon de la chaîne de valeur, ces acteurs ne préfèrent généralement pas se spécialiser dans un seul type de charbon : ils s'intéressent aux deux principaux types de charbon (thermique et métallurgique) voire à d'autres minerais - comme le cuivre, fer, nickel, zinc, aluminium ou uranium - ou d'autres énergies fossiles (pétrole, GN, GNL, GPL). Cette diversification concentrique repose sur l'existence de synergies entre les différents procédés d'exploration et d'extraction/production (mais également de transport et stockage) et permet un meilleur équilibrage du portefeuille d'activités.

Si l'on considère les chiffres d'affaires réalisés par les grands groupes miniers (Anglo American, BHP Billiton, Rio Tinto et Xstrata) entre 2010 et 2012, les ventes de charbon thermique et de charbon métallurgique ont affiché respectivement près de 28% et 15% de croissance (cf. tableau 2 ci-dessous), ce qui constitue les meilleures évolutions après celle du diamant. Cette croissance appelle d'importants investissements, rendus possibles dans les grands groupes miniers grâce à la trésorerie générée par d'autres grands segments comme le cuivre.


Tableau 2 : taux de croissance des ventes de minerais
Source : consolidation Sia Partners, d'après les rapports annuels 2010, 2011, 2012

Les plus grands consommateurs de charbon sont essentiellement des énergéticiens

En aval de la chaîne, on trouve les consommateurs (de lignite et/ou de charbon thermique), généralement de grands énergéticiens (ex : EDF, GDF Suez, Shenhua, E.On, RWE, American Electric Power), des cimentiers comme Holcim ou Lafarge, les sucriers ou encore des sidérurgistes tels que Arcellor-Mittal ou Nippon Steel. Aujourd'hui, l'importante croissance du charbon thermique s'explique en grande partie par deux phénomènes : d'une part l'augmentation du nombre de centrales thermiques (certaines étant rouvertes ou en construction dans les pays ayant acté une sortie du nucléaire ou abandonné certains projets de renouvelables) et d'autre part l'effondrement du prix européen de la tonne de charbon (passé d'environ 135 $ en mai 2012 à 87 $ aujourd'hui) attribuable en partie à l'essor du gaz de schiste aux Etats-Unis.

Le lignite conserve également une place importante en Allemagne, d'autant plus importante que le nucléaire devrait disparaître d'ici 2022. Mais sa croissance reste néanmoins plus modeste que celles des charbons thermique et métallurgique compte tenu du plus faible nombre de centrales thermiques à lignite en Europe.


Tableau 3 : chiffres-clés sur les principaux exploitants de centrales thermiques à charbon
Source : consolidation Sia Partners, d'après les rapports annuels 2010, 2011, 2012

Le WCA (World Coal Association) estime notamment à 41% la part du charbon dans la production mondiale d'électricité en 2012. Le cas de l'Allemagne est évidemment parlant puisque la part du charbon dans la production d'électricité y est passée de 42% à 52% entre 2010 et 2012.

La recrudescence du nombre de centrales thermiques fait donc le bonheur des constructeurs de centrales. Parmi eux, les célèbres équipementiers - Alstom Power, Siemens ou GE -, mais aussi des énergéticiens fortement intégrés (ex : GDF Suez, Vattenfall) ayant pour principal objectif l'amélioration du rendement des centrales. Dans le même registre, les acteurs de l'innovation - TOTAL, Alstom, IFP Energies Nouvelles - s'appuient sur le développement du marché charbonnier pour proposer des technologies de centrales à haut rendement ou des produits complémentaires tels que les dispositifs de lavage des fumées ou de captage de CO2. On peut citer quelques projets de CCS (captage et stockage de CO2) comme le démonstrateur EDF-Alstom sur la 4ème unité de la centrale thermique du Havre - centrale qui accueillera d'ailleurs une tranche à haut rendement, dite « supercritique ». Le projet de centrale à charbon « propre » de TOTAL, initié depuis 2010 dans la commune de Lacq, est également à noter.

Enfin, après les consommateurs, d'autres entreprises se réjouissent - dans une moindre mesure cependant - de l'augmentation des ventes de charbon. C'est le cas des acteurs de la chaîne centrale dite « physique », parmi lesquels les logisticiens, armateurs et stockeurs (ex : Atic Services, Bourbon, Louis Dreyfus Armateurs, China Shipping Company, Glencore), acteurs dont la particularité est de s'être spécialisés dans le transport, le stockage et la distribution du charbon et d'autres produits (principalement grains et métaux). Sans oublier les traders, catégorie hétéroclite rassemblant des profils variés : pure players du charbon, énergéticiens intégrés, armateurs ou sociétés effectivement spécialisées dans le négoce et le trading comme Trafigura, Cargill ou Vitol.

Ainsi, c'est un large panorama d'acteurs qui profitera de la croissance du charbon. La baisse des prix du charbon conjuguée à une hausse rapide de la demande énergétique profitera non seulement aux fournisseurs et traders, mais également aux transporteurs, exploitants, constructeurs de centrales et équipementiers innovants. Ces derniers auront cependant pour objectif de participer à la modernisation du parc thermique - notamment en termes de technologies de CCS - afin de se conformer à la directive sur les Grandes Installations de Combustion. Cette recrudescence de la vente de charbon sera donc peut-être l'occasion de développer les dispositifs nécessaires à une revalorisation de son image et à une meilleure acceptation de cette énergie fossile au cœur de la transition énergétique.

A. Augey, C. de Lorgeril



Figure A1 : chaîne de valeur du charbon
Source : Sia Partners


Figure A2 : catégories de charbon et usages respectifs
Source : Sia Partners, IFP Energies Nouvelles

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